vendredi 19 octobre 2007

Le choc de méfiance

Tribune dans "les Echos"

Nicolas Sarkozy nous disait que tout était prêt pour provoquer, dès l'élection, le choc de croissance, le choc de confiance. Il raillait la nécessité du dialogue social pour réformer. Il se gaussait du constat sur la dette publique. Il se moquait des propositions de création d'un « small business act » et d'une sécurité sociale professionnelle.

Six mois plus tard, le choc promis est celui de la méfiance. Pourquoi Archaïsme, arrogance, affrontement constituent les poisons par lesquels le pouvoir en place est en train de miner les chances de redressement de la France.

Archaïsme. A cause d'une méthode de gouvernance déplorable, la France a connu hier une journée de grève, des transports bloqués, et je dis qu'un pays moderne, confronté à la compétition mondiale ne peut pas se permettre ce type de situation. Arrogance. Une conférence nationale sur la croissance, le pouvoir d'achat et les retraites aurait du être convoquée dès la rentrée pour prendre à bras le corps, et sérieusement, tous les défis qui se posent à nous. Arrogance des cadeaux fiscaux aux privilégiés alors que la grande pauvreté s'accélère, que quatre millions de salariés sont payés en dessous du SMIC (au 1er juillet 2007, après la revalorisation du salaire minimum, plus de 60% des branches sont repassées sous la barre du SMIC pour le premier niveau de la grille salariale), tandis que se profile la réduction de l'accès aux soins. Les enquêtes récentes montrent une inquiétante aggravation des conditions de travail des salariés et une augmentation des journées perdues pour maladies professionnelles.

Affrontement. Ce choix de méthode dépassée et nuisible ne peut conduire qu'aux blocages des réformes structurelles indispensables. C'est un pacte social clair, responsable, efficace dans lequel l'Etat, par son comportement moral, est le garant d'un objectif gagnant- gagnant qui pourrait permettre de mobiliser pleinement les énergies. Le pouvoir est en train de gâcher les bonnes dispositions de nos leaders syndicaux qui sont prêts, pour beaucoup d'entre eux, à accompagner les besoins d'agilité des entreprises. Mais en focalisant la réforme sur les seuls régimes spéciaux, tandis que les scandales politico-financiers révèlent des connivences douteuses et des enrichissements scandaleux des amis du pouvoir, alors que, sans vergogne, est promise au MEDEF la dépénalisation du droit des affaires, comment les salariés peuvent-ils avoir confiance. Je suis convaincue qu'il faut changer de toute urgence la façon de concevoir la création de valeurs et de richesses. Je suis convaincue qu'un développement durable repose aujourd'hui sur les trois piliers que sont l'économique, le social et l'environnemental et que la défaillance d'un seul peut faire crouler le tout. Nous sommes la cinquième puissance économique mondiale, mais nous devons ce rang au travail des Français qui conquièrent des marchés, qui innovent, qui prennent des risques et travaillent dur. Et je suis convaincue que nous ne tiendrons durablement ce rang que si accélérons notre capacité à mobiliser les compétences, à motiver et à former les salariés et à investir dans les PME pour leur permettre de franchir les seuils de performance. L'assainissement de nos finances publiques est une nécessité. Elle suppose une méthode raisonnée, consistant avant toute chose à conforter les marges de manœuvre destinées au financement des dépenses réellement prioritaires. La priorité budgétaire doit donc être consacrée, d'une part au désendettement de la France et d'autre part à la préparation de l'avenir par le soutien aux petites et moyennes entreprises en termes de recherche, de formation, d'investissement, et d'exportation. C'est là que se trouve la source d'une nouvelle croissance, économiquement performante, écologiquement responsable et socialement efficace. Des économies doivent être recherchées à travers la modernisation de l'Etat, une décentralisation efficace et la réforme de notre protection sociale. Mais ces réformes ne peuvent se faire que dans la recherche obstinée d'un consensus national obtenu par le dialogue. Cette nouvelle façon de faire doit se traduire en tout premier lieu dans la gestion des finances publiques. Or, le projet de budget pour 2008 accentue le choc de méfiance. Il révèle en effet l'incapacité du gouvernement à maîtriser le déficit de l'Etat, puisque celui-ci devrait augmenter de 3,3 milliards d'euros par rapport à 2007, pour atteindre 41,7 milliards d'euros en 2008. De son côté, l'état des finances sociales n'est guère plus reluisant, avec un déficit du régime général de la Sécurité Sociale évalué pour 2008 à 9 milliards d'euros et qui atteindra probablement plus de 12 milliards d'euros.

La position de la France au sein de l'Union européenne s'est dégradée : elle fait aujourd'hui partie des cinq pays européens les plus endettés, alors qu'il y a dix ans elle était le 2ème pays le moins endetté. Surtout, en s'endettant toujours davantage pour couvrir ses déficits, notre pays est à contre-courant de la majorité de ses partenaires européens qui, eux, se désendettent. Ces mauvais résultats ont été obtenus alors même que l'Etat n'a pas hésité à céder des actifs publics considérables : 15 milliards d'euros tirés de la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes fin 2005 ont servi en 2006 et 2007 à éponger une partie des déficits, l'Etat perdant au passage les recettes que les sociétés devaient verser au budget.

La France est ainsi plus que jamais vulnérable à la hausse des taux d'intérêt : la seule charge de la dette de l'Etat devrait ainsi augmenter de 1,6 milliards d'euros en 2008 par rapport à 2007.

La situation est d'autant plus inquiétante que les perspectives économiques et financières sont peu encourageantes. Avec des déficits extérieurs record depuis trois ans, révélateurs de la perte de compétitivité de notre économie, la France cumule désormais les handicaps : les déficits commerciaux pèsent sur la croissance, et l'atonie de la croissance pèse sur les comptes publics.

Il faut donc un sursaut. Il faut d'autres façons de penser et d'agir car, pendant ce temps, la mondialisation n'attend pas. Les investissements dans les pays émergents s'accélèrent, les multinationales les ayant augmenté, souligne la CNUCED, de 38% (+ 1,3 milliards de dollars) en 2006, mais surtout les groupes basés dans les pays en développement, comme Embraer au Brésil, Mittal en Inde ou Petronas en Malaisie, sont aujourd'hui de redoutables concurrents dans les secteurs de pointe.

Le défi à relever est donc considérable mais il est à notre portée. Il doit s'appuyer sur nos forces, notre matière grise et sur les capacités de l'Europe. Il faut cesser de jouer « petit bras » et « petite politique ».

Et surtout, Nicolas Sarkozy doit cesser de garder le pire de la continuité (la dette et l'affairisme) et de choisir le pire de la rupture (l'affrontement et les injustices), pour agir de manière moderne et efficace afin que la France saisisse, de énergiquement, toutes ses chances. C'est une société de confiance qui permet le choc de croissance.
Signature Ségolène Royal

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