jeudi 25 octobre 2007

Quelques révélations du livre de François Rebsamen : "de François à Ségolène"

Le nouvel observateur (jeudi 25 octobre 2007)

Les révélations du livre de François Rebsamen
Les dessous du duel Ségo-Sarko
Le numéro deux du PS raconte comment, entre les deux tours de l'élection présidentielle, Ségolène Royal, se sentant piégée, a décidé de cogner, quitte à bouleverser le scénario du face-à-face télévisé mis au point par leurs équipes


Il n'y a pas eu d'entraînement spécifique. Le mardis Ségolène a étudié les notes. Le mercredi matin, nous avons essayé de cadrer le débat et ses enjeux. Nous lui avons dit : «Tu n'as qu'un objectif, c'est de convaincre les électeurs de Bayrou. Aujourd'hui ils sont à 40% pour toi, à 40% pour Sarkozy, et 20% hésitent ou s'abstiendraient. Si, à l'issue du débat, 60% d'entre eux votent pour toi et 40% pour Sarkozy, tu peux encore gagner l'élection... Et qu'attendent les électeurs de Bayrou ? Que tu leur parles de la République impartiale.»

Après quoi nous avons pointé les trois faiblesses du pacte présidentiel : les 35 heures, les retraites et le nucléaire. Sur ce dernier sujet, Ségolène était au point, elle savait argumenter. Nous nous doutions que, soigneusement renseigné par Eric Besson, Nicolas Sarkozy essaierait d'attirer Ségolène dans le piège : «Oui ou non, madame Royal, étes-vous favorable à la généralisation des 35 heures ?» Je conseille alors à Ségolène de déclarer qu'elle n'est pas favorable à la généralisation des 35 heures. Mais, dans un éclat de rire, elle répond par sa phrase habituelle : «Hou là là, si je vais jusque-là, ça va tanguer au PS.» Seule porte de sortie : il n'y aura pas de généralisation, mais une extension des 35 heures après accord complet avec les partenaires sociaux par branches professionnelles.

Sujet plus complexe : la retraite. Ségolène s'interroge : comment répondre à cette question alors que le projet socialiste l'élude ? Certes, il faut prendre en compte la pénibilité, mais c'est insuffisant. Je lui souffle : quarante années de travail pour tous, public-privé. C'est simple, égalisation totale. Ségolène nous livre une idée de François : taxer les revenus du capital pour qu'ils apportent leur part de solidarité aux retraites, et notamment au fonds de réserve des retraites qui a été vidé par la droite sans que personne s'en aperçoive. Ségolène n'a pas eu le temps de s'approprier cette suggestion. Elle la retient néanmoins. Nous attaquons alors la répétition générale en commençant par ce fameux chapitre de l'Etat impartial sur lequel nous lui avons conseillé de centrer tout le débat. Malheureusement, comme on le verra, elle sera littéralement déstabilisée durant les premières minutes de l'émission.

Quand nous arrivons au studio, l'atmosphère est déjà fraîche, mais, surtout, la température est glaciale : à peine 17 °C. Nous remarquons une soufflerie d'air conditionné sous le siège de Sarkozy. Nous protestons énergiquement, Ségolène est en jupe et elle ne va pas manquer d'être gênée par cet air glacial montant du sol. L'explication : Nicolas Sarkozy transpire dès que la température se réchauffe un tant soit peu. Et, un visage en sueur, à l'écran, peut être interprété comme un signe de stress. Julien Dray donne un coup de pied dans la machine à air puisé et nous déclarons que nous ne participerons pas au débat dans ces conditions et que nous ferons savoir pourquoi. La température remonte rapidement à 21 °C. Ségolène entre dans sa loge. Il n'y a pas une goutte d'eau. Cela donne une idée de l'ambiance. Il est 20 h 50. Le débat doit commencer à 21 heures. La veille, durant la préparation, Natalie Rastoin avait répété qu'il fallait trouver un moyen de «casser les codes». C'était son ex- pression. Face à un adversaire tel que Sarkozy et dans une émission de cette nature, c'était une idée qui valait qu'on s'y attarde. Nous avons pensé aux heures supplémentaires exonérées, auxquelles l'électoral«populaire est sensible. Dans l'abondant courrier reçu par le parti, j'avais remarqué la feuille de paie d'un ouvrier de Bourgogne : après trente- deux années passées dans son entreprise, il était payé 986 euros par mois. Quand il faisait des heures supplémentaires - trois, en l'occurrence -, son patron les portait sur le bulletin de salaire, mais ne les payait pas. J'ai dit à Ségolène : «Quand le sujet sera abordé, Sarkozy tiendra son discours habituel en faveur des heures supplémentaires non exonérées permettant aux gens de»travailler plus pour gagner plus«. A ce moment-là tu te lèves, tu déposes devant lui le bulletin de paie de notre ouvrier bourguignon et tu lui demandes de le lire à l'antenne.» Ségolène fait la moue. Elle ne le «sent» pas. Au moment de partir pour le studio, nous glissons la feuille de paie dans sa chemise. Mais, en arrivant, nous constatons que le plateau est surélevé de 20 cm. Je mets en garde Ségolène : si elle se lève, qu'elle prenne garde à ne pas tomber. Peut-être cette crainte l'a-t-elle dissuadée de le faire. Toujours est-il qu'elle a gardé pour elle l'histoire du Bourguignon et de son bulletin de paie. Ce qui n'aurait sans doute pas changé l'issue de l'élection présidentielle !

Enfin, comme vous le savez, il était prévu que les journalistes n'interviendraient pas dans le débat. Ils devaient introduire les thèmes et préciser le temps de parole des candidats, laissant ainsi une grande liberté aux deux interlocuteurs. Or, ouvrant le débat, Patrick Poivre d'Arvor demande aux candidats, contre toute attente, de définir leur «état d'esprit» en cet instant. Ségolène se contente de deux mots : «Sereine et déterminée». Mais Sarkozy se lance dans une tirade vraisemblablement préparée avec soin. Ce contretemps a un peu déstabilisé Ségolène. Dans de telles circonstances, les détails ont des effets disproportionnés. (...)

Le tirage au sort lui vaut de parler la deuxième. Elle est alors persuadée que le débat ne va pas se dérouler comme annoncé, qu'elle va être «piégée». Et elle démarre sur le mode offensif. La connaissant mieux désormais, j'imagine qu'elle se sent en position de challenger, en retard sur son adversaire, et qu'elle décide d'attaquer, quitte à déstructurer le plan mis au point par les deux équipes. (...)

Rien de tout cela n'est programmé : nous y voyons la part de spontanéité propre à Ségolène. Ensuite, Julien et moi jugeons qu'elle «fait» trop long. Le premier «coup de gueule», c'est bien. Mais, le second, c'est excessif. Plus globalement, l'effet de ce débat sur les électeurs me laissera perplexe. J'avais mis en place avec un institut une mesure de l'impact. Dans leur majorité, les électeurs consultés ont découvert la stature de Ségolène, mais elle ne convainc pas les électeurs de Bayrou. Ceux-là mêmes qu'il fallait conquérir.

(c) Editions Fayard, 2007


Le Nouvel Observateur



L'appel à Bayrou
A François Hollande, qui était contre, elle réplique : «Tu es le premier secrétaire, je t'entends, mais je suis la candidate, c'est moi qui décide...»



Lors de la réunion du lundi matin qui suit le premier tour; François Hollande propose de poursuivre la même stratégie de rassemblement à gauche. Ségolène essaie de lancer un débat sur le score de François Bayrou. Personne ne réagit sans doute à cause de la fatigue. Julien Dray et moi restons seuls avec Ségolène; et c'est lui qui lance : «Il faut faire quelque chose en direction de Bayrou.» Je vais plus loin, volontairement j'ajoute : «Tu as perdu l'élection présidentielle à cet instant, sauf si tu annonces que tu prendras Bayrou comme Premier ministre s'il appelle à voter pour toi.» Puis; poussant la tactique de la provocation; je précise : «Il faut trouver le moyen pour que Bayrou appelle à voter pour toi au second tour. Il faut lui lancer un appel.» Julien est d'accord; elle aussi; bien qu'elle reprenne à l'occasion une de ses expressions favorites : «Ca va tanguer !» J'insiste : «Ségolène, est-ce que tu veux être présidente de la République ? Tiens-tu à gagner cette élection présidentielle ? Si on ne fait rien, elle est perdue.» Et elle me dit banco !(...)
Tout s'est joué la première semaine de rentre-deux-tours. Nous avons été près de réussir et de vaincre les résistances. Malheureusement; Bayrou, qui s'était senti agressé pendant la campagne par certains d'entre nous; pouvait douter de notre sincérité. Toujours ce lundi; Gérard Collomb; le maire de Lyon; se joint à nous et s'accorde à notre point de vue. Julien Dray trouve la formule «une alliance arc-en-ciel...» En catastrophe; nous organisons un meeting à Valence, pour le soir même. Dans le TGV; la petite équipe; Ségolène; Julien Dray, Patrick Menucci et moi-même nous endormons; épuisés. Seul; Gérard Collomb rédige un projet d'appel à Bayrou pendant que nous récupérons. Arrivés à Valence; nous relisons; Gérard et moi; le texte de l'appel que s'apprête à lancer Ségolène. Je le trouve un peu fort. (...) Ségolène me demande de prévenir François. Il monte aussitôt sur ses grands chevaux : «Un appel à Bayrou ? C'est impossible.Vous ne pouvez pas, vous n'avez pas le droit. Si vous lancez cet appel, la campagne de Ségolène est terminée ce soir. Elle a perdu.» J'argumente en vain. «Passe-moi Ségolène, vous ne pouvez pas faire une chose pareille.» Je raccroche. Ségolène me regarde : «Alors ? Qu'est-ce qu'il en pense ?» Je lui dis : «Il est violemment contre... Je te propose de tenir compte de ses remarques et d'ajouter à ton appel les mots : «sur la base du pacte présidentiel».» Elle dit : «C'est bien, c'est une démarche de rassemblement. Et sur cette base-là, qu'est-ce qu'il en pense ? -A mon avis, il est toujours contre.» A ce moment-là; le portable de Ségolène sonne. C'est François Hollande. Elle lui dit calmement : «Tu es premier secrétaire du PS, je t'entends, mais je suis candidate à la présidentielle et c'est moi qui décide des communiqués que je fais. Et ce communiqué, je le lancerai dans une heure.» Gérard est un peu estomaqué :«Quelle femme !»

«De François à Segolene», entretiens avec Philippe Alexandre, Fayard, 322 pages, 19 euros.


Le Nouvel Observateur

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