vendredi 2 novembre 2007

de la part de Ségolène Royal

Derniers jours à Buenos Aires


Samedi 28 octobre :

rencontre au siège de la Centrale des Travailleurs Argentins

Aujourd'hui, je rencontre la direction nationale de la CTA, syndicat indépendant, pluraliste et combatif qui se bat pour sa reconnaissance légale. En Argentine, en effet, le syndicalisme a historiquement pris la forme d'une organisation unique, pilier du régime péroniste. Après la fin de la dictature et durant les années ultra-libérales du gouvernement Menem, un mouvement syndical indépendant s'est peu à eu affirmé et a donné naissance, en 1992, à la CTA. Ce syndicat se bat aujourd'hui pour être habilité, lui aussi, à conclure des accords avec le patronat et l'Etat. Leur priorité : la juste redistribution des fruits de la vigoureuse croissance argentine. Ses responsables m'expliquent sur quelles bases ils ont constitué leur organisation qui entretient des relations fraternelles avec les syndicats français et participe activement à la Confédération Internationale des Syndicats : autonomie par rapport aux partis et à l'Etat, démocratie syndicale, recherche d'un syndicalisme adapté aux formes actuelles du capitalisme globalisé.

Je leur fais part de ma conviction que la qualité du dialogue social et des relations dans l'entreprise est un facteur de compétitivité et de mobilisation efficace de la richesse humaine. Au fil de nos échanges, je suis frappée de voir combien, malgré la différence des contextes, les problèmes se ressemblent : quelles sécurités face à la précarité randissante ? Quel modèle de croissance profitant au plus grand nombre ? Quel rapport de force avec quel syndicalisme représentatif et de masse pour rééquilibrer les relations entre le capital et le travail ?

Ils me arlent aussi des spécificités de la société argentine et notamment de l'importance de l'économie informelle qui les a conduits à ce parti-pris novateur : pour syndiquer celles et ceux qui n'ont que le travail au noir pour subvenir à leurs besoins (40% de la main d'œuvre) ainsi que les salariés précaires, la CTA développe, à côté des sections d'entreprise, l'affiliation individuelle des salariés sans statut, des chômeurs et des handicapés, comme me l'explique un de leurs responsables lui-même handicapé.

L'un des dirigeants de la CTA parle français et se présente comme « un métallo CFDT » : exilé chez nous pendant les années de dictature, il a travaillé et milité chez Alstom. Alexandra, responsable du secteur femmes, me dit combien elles ont été actives dans la construction de la CTA car les salariées sont les plus assignées au travail précaire et aux salaires les plus bas : « derrière chaque enfant pauvre, il y a une femme pauvre » me dit-elle. C'est sous leur impulsion que la CTA a intégré dans ses revendications la nécessité d'équipements d'accueil de la petite enfance (crèches, maternelles) accessibles aux plus pauvres.

Ils me parlent aussi de leur combat contre ce qu'ils appellent « la criminalisation de la protestation sociale » (3000 militants syndicaux actuellement concernés) et pour l'universalisation de la protection sociale, avec un salaire minimum garanti à tous alors qu'aujourd'hui 5,8 millions de salariés sur 12 millions n'y ont pas accès. Ils évoquent aussi le lourd tribut payé (67% des victimes) par les militants ouvriers et leur fierté d'être aujourd'hui parties civiles dans les procès intentés aux tortionnaires.

Cette rencontre a donné lieu à de nombreuses reprises dans la presse écrite et audiovisuelle et notamment à une pleine page dans « Clarin », l'un des principaux journaux argentins. Le Ministre du Travail, que je rencontrerai le soir de l'élection de Cristina, m'en parlera longuement.

Dimanche 28 octobre avec les Mères de la Place de Mai


Ce matin, j'ai rendez-vous avec Josefina « Pepa » de Noia, l'une des fondatrices des mères de la place de mai, l'une des 14 femmes qui, en pleine dictature, eurent les premières le courage d'exiger la vérité sur les « disparus ». Alors que la terreur s'abattait sur le peuple argentin, on les vit braver la répression avec leur fichu blanc sur lequel était brodé le nom de leurs enfant emprisonnés dont elles étaient sans nouvelles. Lors de ma campagne, l'une d'elles était venue à Grenoble m'apporter le soutien de ces femmes courageuses, hier résistantes et aujourd'hui toujours militantes pour que justice soit faite. Les mères sont aussi des grands-mères qui recherchent inlassablement les enfants arrachés à la naissance à leur mère emprisonnée et assassinée.

J'ai beaucoup d'admiration pour ces femmes debout qui ont défié un régime fondé sur la peur et s'investissent aujourd'hui dans la consolidation de la démocratie. En ce jour d'élection présidentielle, j'accompagne Pepa au bureau de vote et nous poursuivons en chemin notre conversation sur le combat de ces femmes auxquelles le président Kirchner a rendu l'hommage qu'elles méritent. Le gouvernement argentin a d'ailleurs prouvé sa détermination à ne pas laisser impunis les crimes de cette sinistre période et défère les tortionnaires à la justice.

Chez Anibal Ibarra


J'ai rendez-vous chez Anibal Ibarra, l'ancien maire de Buenos Aires nouvellement élu député, pour un « asado », un barbecue traditionnel argentin. Il a réuni pour la circonstance quelques élus de gauche (Susanna Rinaldi, Gabriele Alegre, Raul Puy) et artistes amis. Il m'accueille chaleureusement et déclare à la presse que, pour lui, ma visite témoigne du renforcement des liens entre les femmes politiques qui, en Argentine, au Chili et en France, « doivent batailler ferme pour tracer leur route dans des sociétés machistes ». Susanna Rinaldi déclare aux journalistes que j'ai eu « l'audace d'entamer une actualisation d'un socialisme français qui, depuis François Mitterrand, s'était un peu assoupi ». Nous parlons de ce nouveau défi que l'Argentine doit relever : un partage plus équitable des fruits de sa croissance et une politique volontaire de réduction des inégalités.

A l'hôpital public Posadas

Cet après-midi, je visite avec Carlos Schwartz, qui y exerce comme chirurgien des enfants, l'hôpital public Posadas, immense équipement qui accueille tous ceux qui n'ont pas les moyens de se soigner dans le secteur privé. Le paradoxe saute aux yeux : des personnels très qualifiés, un service de néonatologie très moderne mais des bâtiments mal entretenus et, en particulier, un service des urgences qu'il tient à me montrer et dont le délabrement est inimaginable avec des malades entassés sur des paillasses, un chien errant dans les couloirs… Le combat de ce médecin socialiste pour que le service public fonctionne mérite d'être salué.

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