samedi 1 mars 2008

Sarkozy, scandales de diversion

Par Daniel Schneidermann
QUOTIDIEN : vendredi 29 février 2008

Un jour ou l’autre, tout de même, il faudra bien qu’ils s’expliquent. Tous les confrères journalistes qui, avant l’élection, côtoyaient quotidiennement Sarkozy ; tous ceux qui le retrouvaient au petit matin dans les salles d’embarquement, faisaient cercle autour de lui dans les avions privés, recueillaient ses humeurs et ses confidences ; tous ceux qui essuyaient ses colères, ses caprices et ses plaisanteries ; tous ceux-là, vraiment, n’avaient-ils rien vu ? Rien vu du stupéfiant narcissisme qui éclate aujourd’hui en pleine lumière et qui le rend manifestement inapte à s’intéresser à autre chose qu’à lui-même ? Rien vu de l’amateurisme tant reproché à Royal au cours de la campagne, bourde après bourde, et qui, chez le tenant du titre, suscite aujourd’hui un accablement incrédule ? Rien vu de cette inquiétante fêlure, dans son rapport à l’amour et au désamour ?

Sauf à admettre que Dr Jekyll s’est transformé en M. Hyde le 6 mai 2007 au soir ou que l’élite des journalistes politiques est frappée de cécité, il faut bien supposer qu’ils savaient, qu’ils voyaient, et qu’ils n’ont rien dit. Fascinants mécanismes de l’autocensure, plus pervers, plus insidieux sans doute qu’on l’imagine. Un jour ou l’autre pourtant, sans passion et sans crainte, il faudra bien expliquer pourquoi l’hebdomadaire Marianne, dans son mémorable numéro sur «Le vrai Sarkozy», fut le seul à écrire noir sur blanc, avant l’élection, ce que constate aujourd’hui le peuple effaré, trompé l’an dernier par ses médias.

On est passés aujourd’hui dans l’hystérie inverse. C’est une affaire entendue : le Président est braque, il importe de s’en débarrasser de toute urgence. «Et ça finira mal !» carillonnent ensemble les couvertures des hebdos de la semaine. Bien. Manifestement, le lynchage fait vendre, mais ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi et cogner avec aussi peu de scrupules que l’on adulait l’an dernier.

Deux exemples. L’affaire du SMS, d’abord. Redisons-le : si l’auteur du scoop, l’investigateur de l’Obs, Airy Routier, avait la certitude absolue que ce SMS avait bien été envoyé par Sarkozy à son ex-femme, alors il apportait sur la santé mentale de l’expéditeur une information qui justifiait sa publication. Et sinon, cette publication était scandaleuse. Or comment a réagi la corporation ? Pendant des jours et des jours, elle est agitée par un débat moral (fallait-il ou non publier cette information ?) sans nullement se soucier de sa véracité. Et quand l’investigateur admet devant la police qu’il n’a pas vu personnellement ce SMS, c’est-à-dire que le scoop a toutes chances d’être un bobard, qui fait état de cet aveu ? Personne ou presque : tout le monde est passé à autre chose.

Deuxième exemple : l’entretien, cette semaine, de Sarkozy avec les lecteurs du Parisien. Le drame se déroule en plusieurs temps. Premier temps : la France découvre le mea culpa présidentiel, après le désormais immortel «casse-toi, pauvre con». «J’aurais mieux fait de ne pas lui répondre», reconnaît Sarkozy. Le journal en a même fait son titre. Deuxième temps, le directeur adjoint de la rédaction du journal, Dominique de Montvalon, révèle spectaculairement que cette phrase d’excuses a été ajoutée par l’Elysée, lors de la relecture de l’interview. Sarkozy, explique-t-il dans une intervention coup de tonnerre à Canal +, «n’a pas exprimé le moindre regret» lors de la rencontre physique avec les lecteurs. La version publiée, le matin même, dans son journal «n’a rien à voir» avec l’entretien originel. D’ailleurs, promet-il, le Parisien publiera le lendemain les deux versions, l’originale et l’amendée. Diable. Emoi ! Ebullition ! Attente fiévreuse. Suivi minute par minute du forfait élyséen. Mais le lendemain, surprise : à la lecture, dans le Parisien, de la version originale, les choses sont moins nettes. «Je n’aurais pas dû lui dire casse-toi, a admis Sarkozy devant les lecteurs. J’aurais dû faire comme je fais toujours, pff…» Et le Parisien concède : «On sent, au détour d’une autre phrase, qu’existe chez lui un vague désir d’admettre qu’il est allé trop loin.» Autrement dit, en affirmant le matin de la publication de l’entretien que Sarkozy «n’a pas exprimé le moindre regret», c’est Montvalon lui-même qui est allé trop loin et a monté un scandale en mayonnaise. Mais croit-on que les confrères vont suivre l’épisode du jour, comme ils ont suivi celui de la veille ? Non. Sarkozy traficote, c’est la seule histoire vendeuse du moment. Montvalon dérape, ce n’est pas une histoire du tout.

Mais à quoi bon, après tout, cette chronique ? On croit déjà entendre les objections : la cause est entendue, qu’on en finisse ! Mais non. C’est par la création permanente de scandales de diversion que les pulsions, véritablement dangereuses, du pyromane (la tentative insensée de contournement du Conseil constitutionnel, la suppression compulsive de la pub à la télé publique) se perdent dans les brumes de l’hystérie permanente.


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