vendredi 9 mai 2008

Sarkozy et la mauvaise presse

Persuadé que les journaux sont responsables de sa baisse de popularité, le chef de l’Etat somme l’UMP de contre-attaquer.
ANTOINE GUIRAL et NATHALIE RAULIN
QUOTIDIEN LIBERATION: vendredi 9 mai 2008

L’homme qui fait cette semaine la couverture de Paris Match tout en œillades et roucoulades pour sa nouvelle épouse, est odieusement maltraité par la presse. L’injustice ayant apparemment échappé aux députés UMP reçus mercredi à l’Elysée, Nicolas Sarkozy leur a détaillé ces manquements destinés à lui nuire. Une formule lapidaire plus tard, l’Express, le Parisien mais aussi l’AFP en avaient pris pour leur grade sous les ors de la salle des fêtes (Libération n’était pas dans le lot). Leur faute : ne pas avoir assez relayé la condamnation de Ségolène Royal en conflit aux prud’hommes avec deux ex-collaboratrices. Très en verve, Sarkozy étend alors sa chasse à Marianne dont il a peu goûté la une («Putain, 4 ans !») et au Journal du Dimanche (dont le directeur de la rédaction vient d’être débarqué), coupable de ne pas avoir publié dimanche un sondage un peu moins mauvais que les autres sur sa récente intervention télévisée. Et le Président de gronder les députés : «J’ai été obligé de décrocher mon téléphone et d’appeler certains d’entre vous» pour qu’ils rédigent des communiqués. Et de houspiller des élus passablement perplexes : «Dans un pays où il n’y a plus d’opposition, la presse s’attribue la fonction d’opposition.» Cette analyse, Nicolas Sarkozy la développe auprès de tous ses interlocuteurs depuis qu’il chute dans les sondages. Il estime que la presse s’acharne contre lui pour des «raisons davantage commerciales qu’idéologiques» , persuadé que le «Sarko bashing» fait vendre.

Reste que cette attaque de mercredi contre les médias, punching-ball récurrent de l’hôte de l’Elysée, aurait pu passer relativement inaperçue. Telle n’était apparemment pas l’intention du chef de l’Etat. Tard mercredi soir, l’UMP décide de faire monter la pression d’un cran en accusant carrément l’AFP de «censure» dans un communiqué titré : «Deux poids deux mesures.»

Hic. Signés des trois porte-parole de l’UMP, le texte d’avant-hier est en réalité inspiré par un seul : Frédéric Lefebvre, ex-porte-flingue du Sarkozy ministre de l’Intérieur, devenu député sans avoir été élu, suite à l’entrée au gouvernement d’André Santini, député et maire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), toujours sous le coup d’une mise en examen. Le départ de Cécilia - qui le détestait - a accompagné son retour en grâce auprès de Sarkozy, et sa récente nomination comme porte-parole de l’UMP. Or, Frédéric Lefebvre a un petit compte à régler avec l’AFP depuis le 30 avril. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy, à nouveau en chute dans les sondages, a «rincé» , selon un participant, les dirigeants de l’UMP réunis à l’Elysée. Il leur a reproché leur manque d’initiative et de combativité pour le défendre. Sommés de se remuer, les proches de Sarkozy sont sur le gril. D’où l’initiative de Lefebvre lobbyiste, prolixe en déclarations superfétatoires, qui, le jour même, enjoint une journaliste de l’agence de presse de diffuser un énième communiqué stigmatisant, au nom de l’UMP, la condamnation de Ségolène Royal.

Le hic, c’est que, remontant déjà au 10 avril, l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui condamne la présidente du Poitou-Charentes a déjà été abondamment commenté sur le fil AFP, notamment par Jean-Pierre Raffarin, son prédécesseur (UMP). Le communiqué de Lefebvre du 30 avril n’apportant rien de nouveau au débat, la journaliste l’éconduit. Fureur du porte-parole qui se fend dans l’heure qui suit d’une lettre cinglante au directeur de l’AFP. Et, dopé mercredi par Sarkozy, finit par accuser l’agence de «censure» . Cette «affaire» a eu des répercussions au sein de l’AFP, puisque le PDG de l’agence, Pierre Louette, s’est fendu hier soir d’une note interne dans laquelle il dénonce «la vigueur des attaques» et précise : «Notre meilleure défense est le respect scrupuleux des règles éditoriales qui sont les nôtres.»

«Défiance». La charge du Président a été jugée «indigne» par François Hollande. «Décidément, Nicolas Sarkozy ne change pas. Il pense que s’il est en difficulté aujourd’hui dans les sondages et rencontre la défiance des Français à son égard, c’est la faute de la presse», s’est désolé le premier secrétaire du PS.

Au-delà de cette polémique, Jean-Pierre Mignard, avocat de Ségolène Royal, estime que «cette exploitation de l’arrêt de la cour d’appel est indécente. Le Président veut le transformer en tract de l’UMP». Estimant diffamatoires les commentaires de Raffarin sur l’affaire qu’il a qualifiée de «délinquance sociale», il annonce son intention de saisir le procureur de la République : «On est aux prud’hommes, pas devant un tribunal correctionnel!» Un procès Raffarin-Royal : voilà une affaire que la presse devrait couvrir abondamment.

Aucun commentaire: