samedi 13 octobre 2007

La tentation du conservatisme de gauche…


On discourt beaucoup à gauche sur le bilan à établir du scrutin présidentiel de 2007. Mais ceux qui sont si loquaces à ce sujet ont été pour la plupart bien silencieux il y a cinq ans… Pourtant, c’est sur cet effondrement de 2002 qu’il y a matière à réflexion. Cet effondrement est, en effet, d’autant plus significatif qu’il est survenu alors que la gauche était au pouvoir et qu’elle pouvait arguer de sa bonne gouvernance pendant les 5 années précédentes pour valoriser la candidature à la présidence de celui qui avait dirigé le pays à la satisfaction du plus grand nombre. En sanctionnant le Premier Ministre Lionel Jospin d’un camouflet aussi sévère, en laissant Le Pen se qualifier pour le 2ème tour, une bonne part de l’électorat de gauche a fait savoir à Jospin qu’il n’avait pas été à son avis assez audacieux, pas assez « à gauche », qu’il n’avait pas répondu à ce qui était attendu de lui.

Comment peut-on s’expliquer avec le recul du temps une telle réaction-sanction ? C’est que visiblement prévalait encore dans les esprits le sentiment que nous avons depuis Epinay, nous socialistes, donné à nos électeurs, à savoir que la raison d’être de la gauche était de faire la « rupture avec le capitalisme » et de « changer la vie ». C’est dans cette logique que nombre d’électeurs ont sanctionné Jospin pour ne pas avoir contribué à faire changer leur vie à eux, pour ne pas avoir répondu à leur attente personnelle de rupture ! Navigant sur son nuage dans la tour d’ivoire du pouvoir et souffrant d’une direction de campagne autiste, Jospin, quant à lui, s’était coupé des réalités profondes du pays, sans prendre pleinement la mesure de la situation…


avec la fin du cycle d’Epinay


Ce dramatique échec illustre à quel point le PS vit la fin d’un cycle, celui d’Epinay. Depuis 1971, la France a changé, les Français ont changé, le monde a changé ! Nous réalisons seulement maintenant qu’il est grand temps de tourner la page… C’est parce qu’elle n’avait pas été tournée plus tôt que nous avons vécu le traumatisme du 21 avril 2002. Dire qu’il nous a fallu cinq ans et une défaite de plus, même si elle a été autrement plus honorable, pour en prendre conscience !

Alors, puisque c’est la vérité, reconnaissons que nous ne sommes plus porteurs de la « rupture » d’Epinay, et donc d’une « autre société » avec le beau rêve que cela impliquait. La chute du mur de Berlin, la mondialisation qui a suivi, d’une part, la capacité même dont nous avons fait preuve à gouverner le pays, d’autre part, ont fait de nous un parti d’alternance dans la société, et non plus un parti porteur d’une autre société. Et pourtant, les illusions que nos électeurs se faisaient sur nous et auxquelles nous n’avons pu répondre, n’en sommes nous pas pleinement responsables ? Ne les avons nous pas régulièrement entretenues dans nos programmes, nos discours, nos campagnes électorales ?

Il est vrai aussi que, nous socialistes, n’avons jamais eu l’audace de dresser dans la sérénité et la transparence le bilan de nos expériences de gouvernement, pas plus que nous n’en avons tiré la leçon et fait part à nos compatriotes quelles sont en conséquence pour la gauche les possibilités et les limites de l’exercice du pouvoir dans la société d’aujourd’hui.


dans une société où les mutations s’accélèrent


Cette désolante aigritude dont Lionel fait preuve à l’encontre de Ségolène souligne à quel point il déplore qu’elle ait tenu dans sa campagne un discours porteur des premières remises en question de ce qui était en quelque sorte devenu notre « langue de bois ». Dans une société où les mutations s’accélèrent, où le champ politique est éclaté, face à une droite qui patauge dans l’apprentissage balbutiant de son réformisme, notre gauche ne resterait-elle pas ancrée dans ses certitudes et ses habitudes, ne serait-elle pas en proie à la tentation du conservatisme idéologique de gauche ?

Nous n’avons pas pour l’heure, en effet, en termes de réformes, des réponses de gauche à apporter à l’activisme réformateur de Sarkozy, et de ce fait nous semblons toucher à nos limites en critiquant, en nous opposant, mais sans plus. C’est bien de le faire, mais nous qui sommes des progressistes et qui avons le cœur à gauche, ne pourrions nous pas avoir logiquement dans notre besace des solutions novatrices de changement social ? Hélas, notre mutisme en ce domaine nous fait apparaître en la circonstance, même à notre corps défendant, comme si nous étions inquiets de voir bouger les choses … Alors, face à une droite réformatrice, nos silences, nos hésitations, notre timidité nous paralysent et cette paralysie risque d’être ressentie de l’extérieur comme une forme de conservatisme, de gauche certes, mais de conservatisme quand même !

Nous accrocher à nos valeurs, résister à l’air du temps, aux dérives de la société de consommation, c’est indispensable, mais cela ne suffit pas. Il nous faut, à partir de nos valeurs fondamentales, adopter une approche réaliste de la société d’aujourd’hui, accompagnée du souci d’une véritable proximité avec nos compatriotes. Comme les fondamentaux d’hier ne peuvent plus être ceux d’aujourd’hui, nous avons à élaborer de nouveaux piliers idéologiques, aptes à sous-tendre notre action ! Une réponse permanente aux mutations qui s’accélèrent, une réponse d’innovation sociale, économique et sociétale.

Ayons l’audace de nous remettre en question, nous n’avons que trop tardé !


Gérard Denecker, ancien d’Epinay et qui a participé, au comité directeur et comme premier secrétaire fédéral à la reconstruction du PS dans les années 70.

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