samedi 22 décembre 2007

Le baladin de Disneyland

Le roman des amours du président paraît découpé en épisodes de 52 minutes. Celui de ses actions aussi
Encore un succès de l'ouverture : au printemps dernier, Carla Bruni s'était prononcée en faveur de Ségolène Royal. Mais la politique n'a jamais empêché les sentiments. Et puis Nicolas Sarkozy a tenu parole : il avait promis de moderniser la vie française; il le fait. De la part d'un président abandonné il y a deux mois par son épouse, un épisode comme celui de Disneyland eût été inimaginable il y a encore une quinzaine d'années. Avec pourtant une constante : tout le monde a remarqué la ressemblance physique entre Carla et Cécilia. Beaucoup de femmes vivent plusieurs aventures différentes avec le même homme; beaucoup d'hommes vivent la même aventure avec des femmes différentes; Nicolas Sarkozy est de ceux-là.
Le voilà en tout cas condamné par son système de communication à nous raconter une nouvelle histoire chaque semaine. C'est le principe des telenovelas brésiliennes. C'est ainsi que le roman de ses amours paraît découpé en épisodes de 52 minutes; celui de ses actions aussi. Avant le sauvetage des infirmières bulgares, il y avait eu celui des enfants de Neuilly. On voit, semaine après semaine, Sarkozy l'Africain succéder à Sarkozy l'Européen, qui avait lui-même précédé Sarkozy l'Américain. Il en va de même avec ses entreprises de politique intérieure : et tant pis si on laisse les problèmes en plan une fois les caméras parties. Chaque nouvel épisode chasse le précédent. Kadhafi, quel Kadhafi ? The show mustgo on.

C'est pourquoi il faut prendre au sérieux Sarkozy quand il nous suggère, interview après interview, que la présidence de la République ne lui suffit pas. Mais là où Giscard et Mtterrand se contentaient de se rêver en écrivains et Chirac en ethnologue, Sarkozy, lui, s'invente plusieurs vies à la fois. Mais où veutil en venir, à la fin ? Entend-il avant tout faire étalage de la variété de ses dons ? Ou au contraire se cacher derrière la multiplicité de son personnage ? Le fait est qu'un certain trouble est en train de s'installer, non seulement sur la ligne politique mais sur l'identité même de Nicolas Sarkozy. L'étranger est tourneboulé et ricaneur; le Français est à la fois fasciné et perplexe et l'image du président se brouille chaque jour davantage.
En vérité, l'ambiguïté s'est installée dès le premier soir avec le va-et-vient entre le Fouquet's et la place de la Concorde, entre le CAC 40 et le Top 50, comme on disait naguère, entre Bernard Arnault et Mireille Mathieu.
Je sais bien que la France est par excellence le pays de la connivence incestueuse des élites, mais tout de même... Cet homme cultive le paradoxe, et il est difficile de croire que ce soit gratuitement. Est-il donc le militant de l'ouverture à gauche ou celui des cadeaux aux riches ? Le bourreau des «privilèges», quand il s'agit des cheminots, et le fourrier des petits arrangements quand il s'agit de son salaire ? Le champion des droits de l'homme et le libérateur des otages célèbres ou l'ami complaisant de Bush, Hu Jintao, Poutine, Chavez, Kadhafi ( série en cours ) ? L'amoureux éploré de Cécilia ou le séducteur de tout ce qui compte à l'écran ?

Car voici le dernier épisode, en forme de sapin de Noël : la liaison affichée avec Carla Bruni, véritable scène de dépit amoureux mais surtout cadeau de fin d'année à toute cette presse qui a pour seul point de vue sur l'avenir le trou de la serrure. Au vrai, nul besoin cette fois-ci d'interminables planques : c'est à Disneyland que l'Etat français luimême avait rendez-vous avec la romance : on ne fait pas plus galant ni plus romantique. La France, qui aime bien voir les amours de ses princes se teinter d'un peu de mystère et de beaucoup de panache, est pour l'heure abasourdie : nous voilà tombés des ferrets d'Anne d'Autriche et du collier de Marie-Antoinette dans la verroterie de fête foraine.
Quelqu'un a dit un jour que la présidence de la République était une bonne situation mais qu'hélas ! elle n'offrait pas de débouchés. Nicolas Sarkozy est en train de démontrer le contraire : l'Elysée est un endroit rêvé pour tout faire, absolument tout, y compris autre chose.

Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur du 20/12/07

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