mercredi 6 février 2008

La vie sans «le Che»

Belfort . Maire depuis 1983, Jean-Pierre Chevènement a démissionné en juin. Son successeur doit affronter une liste PS. L’UMP compte bien en profiter.
Envoyé spécial à Belfort THOMAS CALINON photos PASCAL BASTIEN
QUOTIDIEN : mercredi 6 février 2008

«Chevènement = Belfort.» Depuis juin, cet axiome n’est plus de mise. Au lendemain de sa deuxième défaite consécutive aux législatives, le président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC), 68 ans, plusieurs fois ministre, a abandonné son mandat de maire, conquis en 1983. Il a alors passé le relais à un fidèle, Etienne Butzbach, 55 ans, décidé à rempiler. «Chevènement nous a fait le coup de Jospin : "Les électeurs ne veulent pas de moi, je m’en vais…"», commente Bruno Kern, candidat PS qui se dresse sur la route du maire MRC sortant.

Costume. Simple élu, Jean-Pierre Chevènement a participé jeudi à son dernier conseil municipal. Avant de mettre un point final à l’histoire politique qui le lie à Belfort, il dirige pour quelques semaines encore la communauté d’agglomération. «Qu’il s’agisse du TGV Rhin-Rhône, de l’université, j’ai donné le meilleur de moi-même. J’ai en moi la satisfaction du travail accompli», confie-t-il. Les candidats à la succession lui rendent hommage sans qu’on leur tende la perche. «J’ai toujours eu du respect pour cet homme qui a beaucoup fait pour Belfort», affirme le député UMP Damien Meslot, 43 ans, dont la liste est soutenue par le Nouveau Centre et Génération Ecologie. «Il ne faut rien enlever à son bilan», confirme Bruno Kern, avocat, 51 ans, à la tête d’une liste qui rassemble socialistes, verts et radicaux de gauche. «Mais si les Belfortains sont heureux de l’héritage, ils ne veulent pas des héritiers», ajoute-t-il dans la foulée.

La question qui se pose est de savoir si le retrait de Chevènement va entraîner la chute du «système MRC», que la plupart des postulants dénoncent. Le «système» ? «Une chape de plomb qui pèse sur la ville, l’inhibition des initiatives des habitants, un système fermé qui nuit au développement de Belfort», accuse Christophe Grudler (DVD), 42 ans, journaliste et chef de l’opposition au conseil municipal, dont la liste est soutenue par le Modem. «C’est un système où le pouvoir ne discute pas autrement avec les habitants que dans des conseils de quartier qui ne sont que des chambres d’enregistrement», poursuit Bruno Kern. «A les écouter, on a l’impression qu’on était dans un truc soviétique», rigole Etienne Butzbach. A la tête d’une liste MRC-PCF-LO, il entend conserver le costume de maire enfilé en juin. «C’est vrai qu’il y avait une rigueur, mais atténuée par la force du souffle. Et quelles que soient les maladresses qui ont été faites, ça ne justifie pas des stratégies politiques bâties sur l’exhalaison de ressentiments personnels», dit-il en visant le PS.

Car la démission de Chevènement est aussi son ultime échec. Par son geste, il souhaitait provoquer un «électrochoc» menant à une union MRC-PS. Rien d’illogique puisque les deux partis, qui composent la majorité élue en 2001, ont un bilan commun à défendre. C’est raté, malgré les efforts des instances nationales du PS. «Il n’y avait pas de bonne solution pour parvenir à l’union dès le premier tour», estime Bruno Kern : une tête de liste socialiste «aurait donné au MRC le sentiment d’être relégué» ; une tête de liste chevènementiste, et le PS, longtemps dominé localement, «aurait eu l’impression qu’il fallait se coucher à nouveau». Avec une camionnette transformée en permanence mobile, son équipe mène campagne dans les quartiers, promettant «concertation», «proximité» et «nouvelle gouvernance». Mais Kern annonce l’union avec le MRC dans l’entre-deux-tours, quand les électeurs auront établi le rapport de force entre les deux partis : «C’est pas parce que les gens marquent leurs différences qu’ils se haïssent. Si Butzbach est devant, j’irai avec lui.» Son téléphone sonne. C’est Pierre Moscovici, député (PS) du Doubs, qui souhaite parler à Libération : «Je suis avec les socialistes de Belfort parce que je sais ce qu’ils ont enduré. Il y a une primaire à gauche, il faut l’assumer dignement, sans animosité à l’égard de Jean-Pierre Chevènement.»

Cette stratégie est qualifiée de «suicidaire» par six socialistes ou apparentés, dont deux adjoints sortants, qui s’allient d’emblée à Etienne Butzbach. Celui-ci doit s’affirmer comme une force de renouvellement sans renier son long compagnonnage avec «le Che». «C’est toute la difficulté de mon boulot. Montrer qu’il y a un acquis, mais que je peux apporter quelque chose de plus en termes de proximité et de travail en équipe, admet Etienne Butzbach, médecin devenu enseignant en sciences politiques. Jean-Pierre et moi, nous n’avons pas la même histoire. Lui a fait l’ENA, il a toujours été dans le jeu institutionnel. Moi, je suis issu d’une mouvance d’expérimentation sociale.» «Il sait rassembler, il a bon caractère, et il s’est lancé très tôt dans la démocratie participative», explique Chevènement, qui préside son comité de soutien. «Jean-Pierre est présent dans ma campagne, mais pas pesant», commente son successeur.

Promesses. Face à une gauche divisée, Damien Meslot (UMP) semble en position de force pour incarner le «changement». D’une certaine manière, il est celui des candidats qui met le plus ses pas dans ceux de Chevènement, en insistant sur l’entregent dont il bénéficierait à Paris grâce à son mandat de député et à son profil sarkozyste. «J’étais encore l’autre jour à l’Elysée, le lendemain au ministère de l’Ecologie… Je peux vous assurer que si nous remportons la ville nous aurons des soutiens pour mettre en œuvre notre programme», glisse-t-il dans ses réunions publiques, qui débutent par des promesses de modération fiscale. «Nos gens sentent bien que si un jour on doit emporter Belfort, c’est aujourd’hui. Je reste humble, même si j’ai vu des sondages favorables», assure Meslot. Des enquêtes auraient été commandées, par le PS en septembre et par l’UMP en novembre, mais les adversaires de Meslot le soupçonnent de bluffer. Ces sondages, non publiés, donneraient 41 % au candidat UMP et 14 % à Christophe Grudler, son frère ennemi de droite, qui l’accuse de vouloir remplacer le «système MRC» par un «système UMP». PS et MRC seraient au coude à coude, autour de 20 %. «Je pense qu’on peut être relativement optimistes», assure Jean-Pierre Chevènement, convaincu que son parti remportera la primaire à gauche et conservera la mairie. S’il s’agit du même «optimisme» que celui affiché pendant sa campagne pour les législatives, le MRC peut se faire des cheveux blancs.




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