vendredi 29 février 2008

Ingrid Betancourt en détresse

Colombie. Les otages relâchés mercredi craignent pour la vie de la Franco-Colombienne.
De notre correspondant à Bogotá MICHEL TAILLE
QUOTIDIEN : vendredi 29 février 2008

Ingrid Betancourt est «physiquement et moralement épuisée.» C’est ce qu’affirme un des quatre otages de la guérilla colombienne relâchés mercredi. L’ancien sénateur Luis Eladio Pérez, remis avec ses compagnons à une délégation vénézuélienne par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), a lancé dans les heures qui ont suivi sa libération un appel au secours pour la Franco-Colombienne et la quarantaine d’otages politiques et militaires toujours retenus dans la jungle. Après l’avoir croisée le 4 février, au hasard des déplacements des ravisseurs, l’ex-otage juge qu’elle se trouve «dans le même état, ou peut-être plus diminuée, que sur les preuves de vie» diffusées en décembre 2007, qui avaient frappé les Colombiens. On y voyait une Ingrid Betancourt silencieuse, amaigrie et visiblement découragée.

Brimades. Libérée avec Pérez, l’ex-députée Gloria Polanco confirme que la Franco-Colombienne souffre d’une «hépatite récurrente». Comme tous les otages, elle n’a accès, dans la moiteur des forêts de l’Orénoque et de l’Amazonie, qu’aux soins rudimentaires d’infirmiers guérilleros. «Il n’y a presque pas de médicaments», ajoute Eladio Pérez, interrogé par la radio colombienne Caracol. Lui-même a survécu à des comas diabétiques, mais un capitaine, Julián Guevara, est mort en 2006, emporté par une maladie «en quelques jours»,selon les Farc.

Trop faible pour supporter les longues marches d’un camp à l’autre, Ingrid Betancourt a déjà dû, au cours d’une attaque d’hépatite, être transportée dans un hamac. «Sans le vouloir, les guérilleros lui donnaient des coups contre les arbres, et elle arrivait trempée s’il pleuvait», raconte dans sa biographie le policier John Frank Pinchao, évadé en 2007. Aujourd’hui, elle se remet en prenant du calcium et des vitamines, selon Pérez, et les ravisseurs lui enlève ses chaînes en journée. Après avoir donné au sénateur une ceinture tressée et d’autres cadeaux pour sa famille, elle lui a crié au moment des adieux, le 4 février, de «ne pas s’inquiéter pour sa santé».

Mais Betancourt souffrirait de brimades constantes. «Il faut dire au monde entier que la guérilla s’acharne contre elle», dénonce le libéré. Son accusation coïncide avec le récit de John Frank Pinchao. Les ravisseurs la font attendre, la nuit, si elle doit se lever pour faire ses besoins ; ils restreignent plus ses mouvements qu’aux autres captifs… Les guérilleros semblent faire payer à la politicienne «bourgeoise» sa résistance têtue, désespérée, de tous les instants. Quand ils tentent de l’enchaîner après une fuite ratée, elle «se débat» ; quand un guérillero l’insulte, elle «le secoue par le col».

Cette succession de batailles perdues l’aurait épuisée. Séparée depuis juin de ses amis, comme Pérez, elle «essaie de parler le moins possible pour éviter les problèmes», écrivait-elle dans sa lettre à sa mère, en novembre. Elle souffre d’être la seule femme «au milieu de prisonniers captifs depuis huit ou dix ans». La tension est ancienne : il y a trois ans, alors qu’elle allait aux toilettes, à l’écart, c’est un commandant guérillero qui «s’est jeté sur elle», rapporte Pinchao. «Elle a dû le gifler pour lui échapper.»

«L’idée qu’elle pourrait être libérée en dernier l’a profondément abattue», ajoute aujourd’hui Luis Eladio Pérez. La Franco-Colombienne, «joyau de la couronne» du fait de son aura internationale, serait une carte majeure du troc de prisonniers voulu par les ravisseurs, et ne serait pas relâchée facilement.

Le président vénézuélien Hugo Chávez, qui a obtenu des Farc six libérations depuis janvier, a publiquement demandé au vieux chef de la guérilla, Manuel Marulanda, d’intervenir en faveur de l’ex-sénatrice.

«Renaître». «Tu ne connais peut-être pas ses conditions de détention, mais je te demande de la déplacer vers un campement plus proche de toi», a-t-il lancé devant les caméras. Ce ne serait pour Chávez qu’une solution temporaire avant la «libération définitive», seule issue à tous les maux des otages. «J’ai subi de tout, témoigne Pérez. Mais aujourd’hui, je me sens renaître. Pour Ingrid, il faut entamer une course contre la montre.»


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