lundi 2 juillet 2007

Qui a perdu la bataille de la Marne ?, par Patrick Jarreau

lors que la droite occupe comme jamais l'espace public, avec à sa tête un président omniprésent, pour ne pas dire envahissant, les socialistes sont abîmés dans une de leurs phases habituelles d'introspection dépressive aiguë. Ils n'ont qu'une question en tête : qui est responsable de leur échec à l'élection présidentielle ? C'est bien connu, la victoire a de nombreux pères, la défaite est orpheline. Confronté à une bruyante concurrence pour la gloire d'avoir repoussé les troupes allemandes qui menaçaient Paris, en septembre 1914, le généralissime Joffre disait : "Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais bien qui l'aurait perdue !" Au PS, c'est l'inverse. On sait bien qui aurait gagné l'élection présidentielle. On ne sait pas qui l'a perdue.

Mais d'abord, y a-t-il eu défaite ? Ségolène Royal préfère l'appeler une "non-victoire". C'est ainsi qu'elle avait présenté sa performance lors de la réunion du conseil national du PS qui avait suivi, le 12 mai, le second tour de la présidentielle. La distinction est importante. A strictement parler, en politique comme en sport, seul le tenant du titre peut être "battu". Le challenger, lui, réussit ou échoue. Valéry Giscard d'Estaing a été battu en 1981, "licencié", disait-il, par les Français. Les premiers ministres de cohabitation, cogérants de l'exécutif, qu'étaient Jacques Chirac en 1988 et Lionel Jospin en 2002, ont eux aussi été battus. C'est bien ainsi qu'ils l'ont vécu.

En revanche, quand Charles de Gaulle a été réélu face à François Mitterrand, en 1965, on n'a pas dit que le président sortant avait battu le candidat unique de la gauche. Et, pour ce dernier, le résultat obtenu contre le fondateur de la Ve République était un succès, le début d'une longue marche qui le mènerait à l'Elysée seize ans plus tard. Beaucoup des électeurs qui votèrent pour lui la première fois lui restèrent fidèles lors de ses tentatives ultérieures. Ses quelque 45 % de voix furent une base de départ. Pourquoi n'en irait-il pas de même pour celle qui se veut son héritière et qui ne doute pas d'être fidèle à sa leçon ?

La présidente du conseil régional Poitou-Charentes demande que les quasi-47 % de voix qu'elle a obtenus le 6 mai soient portés à son crédit. Les "éléphants" socialistes inscrivent ce score, au contraire, à son débit. C'est la thèse de l'élection imperdable, selon laquelle toutes les conditions étaient réunies pour que la gauche regagne enfin l'Elysée. La droite, au pouvoir depuis 2002, avait un bilan médiocre. Son allié centriste se comportait de plus en plus en opposant. Le chef du parti majoritaire n'expliquait-il pas lui-même que tout était à faire ? Le règne de M. Chirac s'achevait sur un référendum perdu, sur les émeutes des banlieues, sur la révolte des étudiants contre le CPE. Quant à la "rupture" proclamée par Nicolas Sarkozy, elle ne pouvait tromper personne ou devait inquiéter tout le monde.

Admettons que les données de départ étaient défavorables à la droite. Reste à déterminer ce qui a empêché la candidate socialiste de mieux les exploiter. Ses propres limites ? Ou la mauvaise volonté des dirigeants socialistes - à commencer par le premier d'entre eux, François Hollande -, dépossédés d'un rôle qu'ils estimaient tous leur revenir ? Ou encore le retard du PS à élaborer un projet politique capable de convaincre une majorité d'électeurs ? Tout cela à la fois, sans doute.

En attendant, puisque les socialistes jouent décidément rétro et sixties, Jean-Marc Ayrault réinvente le "contre-gouvernement" imaginé par François Mitterrand en 1966. Il s'agissait, à l'époque, de dépasser les frontières des différents partis et groupements de la gauche "non communiste" pour les amener à travailler ensemble. Deux ans plus tard, Mai 68 balayait tout cela. Ah oui, c'est vrai, l'histoire ne se répète pas...


LE MONDE | 29.06.07 | 14h34 • Mis à jour le 29.06.07 | 14h34

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